mercredi 30 mars 2016

Oldies - Neptune Towers (1994)



Monsieur "Fenriz" Gylve Nagell a toujours été quelqu'un d'hyperactif. Mais paradoxalement sa célébrité en tant que batteur de Darkthrone a un peu fait passer à l'arrière plan ses autres projets. Et il y en a pourtant eu quelque uns! Une ribambelle de groupes punk/thrash/crust qui n'ont mené à rien ou presque, la musique folk/viking de Storm, déjà plus intéressante, et surtout le black metal à corne à boire d'Isengard (dont personnellement je n'ai jamais compris le succès tant ce truc oscille entre inutilité intrinsèque et ridicule le plus complet). Bref, on pourrait faire une encyclopédie de tout ces projets, mais ici je n'en retiendrai qu'un. Peut-être le moins connu et le plus bizarroïde.



 Et là vous allez me dire: "ça sent le LSD". Bien vu. 
 
Neptune Towers n'est rien d'autre qu'un expérimentation chelou qui explore les terres improbables de l'ambiant et du krautrock. Oui oui, le mec qui a pondu Transylvanian hunger et Panzerfaust et qui là nous fait du Tangerine Dream, c'est bien de ça qu'on parle. Et attention, en plus il y a concept: deux albums, de deux titres chacun, à écouter d'une traite. Un voyage spatial mis en musique, une odyssée sonore et hallucinatoire vers « l'Empire Algol ». Une plongée dans les ténèbres d'outre-dimension, à base de synthés éthérés, de rythmiques de pulsars, de larsens et autres distorsions qui vibrent comme le vent solaire s'écrasant sur la magnétosphère de Saturne.

Les deux opus sont sortis dans la semi-clandestinité chez Moonfog. On ne pourra pas dire que ça aura marqué grand monde, le projet est même vite retombé dans les oubliettes de l’Histoire du metal. En même temps c’est tout sauf du metal, justement. Trop barré pour le chevelu lambda ? Pas dans l’air du temps ? Le public s’est vitre divisé en deux : la grande majorité des « rien à carrer » et le petit groupe des initiés qui ont senti le potentiel de la chose et l’ont élevée au statut d’œuvre culte. 

Il faut dire qu’encore aujourd’hui, écouter Neptune Towers est une expérience un peu à part. Si certains sons et effets légèrement prout-prout ont vieillit et font sourire l’ensemble tourne vite à l’onirisme inquiétant, voire au glauque cosmique. Ces disques sont habités. Il se passe quelque chose. Fenriz le dit lui-même dans les liner notes : « Thank you to whatever gave me the Cold Void visions ». Il n’était peut-être pas seul quand il a enregistré ça, comme un démiurge lovecraftien créant sous une influence « autre ». Et l’ambiance qui en ressort passe constamment du psychédélisme spatial à la vénération yog-sothothienne. A la fois trippant et flippant.



Ce type fait souvent n’importe quoi. Mais il le fait bien.

Et c’est le but : l’absence de chant ou batterie est assumée car ces instruments sont présentés comme trop « terrestres ». Et de recommander en toute lettres dans le livret d’écouter les disques absolument seul, « NOT FOR COLLECTIVE LISTENING ». On connait la répugnance de Fenriz vis-à-vis des concerts (raison pour laquelle ils n’en ont presque jamais fait avec Darkthrone), Ici ça va plus loin : la musique est présentée comme l’antithèse du divertissement, c’est une expérience quasi mystique qu’il convient de ritualiser et vivre en profondeur. Avec une forme de dévotion profonde. Et ça, mine de rien, c’est un parti pris qui a fait date et que de nombreux groupes ont repris à leur compte de nos jours.

Plus de vingt ans après, que reste-t-il de Neptune Towers ? Des cds absolument introuvables, une chouette réédition LP chez Svart Records (un label qu’il est bien), et une réputation qui reste à faire. Franchement ça vaut le coup. Si les tours de Neptune ne se hisseront sans doute jamais jusqu’au panthéon du krautrock, ce grand voyage vers le mystérieux Empire Algol mérite largement l’attention des pèlerins de l’expérimentation sonore et du musicalement improbable. Neptune Towers c’est un peu le skeud bizarre qu’on gardera toujours sur les rayonnages de sa cédéthèque, la curiosité qu’on sortira une fois tous les trois ans, mais qui -associée à quelques bougies et éventuellement de sympathiques psychotropes- procurera quelques frissons pénétrants à vos rêveries solitaires.

ESCAPE THE EARTH.