jeudi 28 juin 2012

Phurpa - Trowo Phurnag Ceremony


Ce qui est bien avec la musique (celà vaut aussi pour la plupart des formes d'art mais la musique est un exemple particulièrement révélateur) c'est qu'à force de toujours chercher ce qui se fait de plus innovant, avant-gardiste et j'en passe, on revient fatalement aux racines. Parfois même les plus inattendues. A croire que la création artistique n'est jamais qu'un Ouroboros se mordant perpetuellement la queue. Bref tout ça pour dire qu'en partant du drone par exemple on peut revenir quelque siècles, voire bien plus, en arrière.

Il était donc une fois quatre jeunes russes étudiants à la Fabrique of Cardinal Art de Moscou, travaillant sur les musiques rituelles et religieuses d'Iran, d'Egypte et du Tibet. Après quelques années de tâtonements ils créent Phurpa. Avec ce groupe ils redonnent vie à leur façon aux musiques tantriques tibétaines. C'est en particulier dans le repertoire de la tradition Bön qu'ils vont piocher. Le Bön, pour faire court, est la religion et l'ensemble de croyances tibétaines préexistant au bouddhisme, et qui se sont mélangés à celui-ci pour en former cette branche distincte des autres qu'on appelle 'bouddhisme tibétain' ou encore lamaïsme.

 bröööööööööööööööö.....

De la tradition Bönpo les musiciens de Phurpa ont retiré un goût pour les polyphonies. D'ailleurs Phurpa est plus à considérer comme un ensemble vocal que comme un groupe. Le chant occupe tout l'espace, un chant ou plutôt une superposition de chants graves, guturaux, dissonants. Les instruments traditionnels (rkang glings, gyalins, damarus, cymbales, ngas, bols chantants...) restent très discrets et jouent plus le rôle d'accompagnateurs, soutenant le chant et scandant les différents passages. Mais c'est bien la voix qui est maîtresse chez Phurpa, cette voix à la dimension spectrale fantastique, psamoldiant les mantras et emplissant tout l'espace jusqu'à presque en déformer la perception que l'on en a. Musique tantrique par excellence, l'experience Phurpa réclame quand même un effort pour être pleinement appréciée. Le style est volontairement monotone et exige de l'attention. Cette rudesse au premier abord est le prix à payer pour qui veut s'immerger dans la vraie musique rituelle, porteuse de sens. Il faut apprendre à laisser le temps au son de frayer son chemin dans notre univers mental et d'y faire son effet.

Quel rapport avec le drone au fait? D'abord que nos russes chantants ont été repérés par Stephen O'Malley. Le maître ès-infrabasses a été séduit au point de les signer sur son nouveau label, Ideologic Organ (en fait une sous division du label Mego pour laquelle O'Malley est curateur), et qu'il les embarque de plus en plus souvent avec SunnO))) en tournée. Ensuite que Phurpa bien que n'étant pas du drone s'en rapproche énormément: même culte de l'onde sonore et de ses effets, même minimalisme hypnotique, même mysticisme caché... En fait Phurpa met en valeur les liens de descendance qui se tissent entre courants musicaux. Et nous font prendre conscience que le drone est bien l'héritier de ces musiques 'primales' et sacrées qui recherchaient la transe et l'illumination par le son.


Trowo phurnag ceremony est encore trouvable sur diverses distros, dont Drone records.
Les photos sont reprises du site du groupe http://phurpa.ru/.

mercredi 6 juin 2012

Live report: Tapette Fest, Campénéac, 1 et 2 juin 2012


La Bretagne, terre de paysages verdoyants, de patrimoine ancestral, de bigouden ridées et… de festoches!  J'ai beau avoir décidé de tirer un trait sur le Hellfest cette année (trop cher, trop déjà vu, trop relou), le sort m'aura quand même traîné de nouveau du côté de Brocéliande pour une escapade musicale. Au Tapette Fest -alias Festival du Pathos- sixième du nom! Officiellement pour servir de roadie aux membres de Malhkebre, officieusement pour m'en mettre plein les cages à miel pendant deux jours. A part les agent actifs de l'ignominie susnommés et les parisiens Aluk Todolo, je ne connais rien des artistes présents à l'affiche, mais les connaisseurs me disent que le Tapette Fest est un grand n'importe quoi dont on ne ressort jamais déçu. Ok, ça roule.

En plus de dix ans d'existence, le Tapette n'en est qu'à sa sixième édition. La faute à plusieurs césures, pour cause de difficultés diverses (financement, orga ou divers problèmes rencontrés sur le Tapette #5 qui ont obligés à une petite pause…) et déménagements. Cette année c'est la petite commune de Campénéac (Morbihan) qui accueille le fest.
Arrivés sur place on a vite fait de se familiariser avec les lieux, puisque le site même (hors camping et parking) ne tient même pas sur un demi terrain de foot. Un chapiteau-scène, une tente-buvette, une caravane à sandwiches et un barnum-stand de merch. Plus des toilettes sèches dans un coin et un stand de shirts et affiches sérigraphiés à la main et on a tout ce qu'il faut. Que demander de plus qui ne serait superflu? Un festoche à taille humaine, pour de vrai. En plus l'ambiance est vraiment à la cool et les différents publics présents (allant du punk à chien au teufeur en passant par tout ce qui se trouve en matière de metalleux, rocker indie, skin, coreux etc.) cohabitent gentiment.



On aura quand même raté le début, n'arrivant que pour voir la fin du set de France Sauvage, assez bruitiste et péchu, mais trop peu vu pour s'en faire une vraie idée. De Will Guthrie je ne verrai presque rien mais le peu que j'en entendrai semble bien bon, basé essentiellement sur des soli de percussions et batterie. Pas vu Headwar non plus, en revanche Scorpion Violente fera un effet bœuf, malgré une phase d'adaptation nécessaire. Le duo français nous délivre une electro limite transe par moments, mais sur le fond assez crade. Ça fait voyager tout en pulsant le dancefloor de vibrations pas toujours complètement positives. Eux appelle ça de la "disco pour vigiles". Une version camée d'Underworld? Ça m'y a fait penser par moments, tout en gardant un je-ne-sais-quoi de typiquement frenchy. Excellent mélange pour un set détonnant, un groupe qu'il me faudra suivre. Le temps de revenir sur terre et on enquille avec les espagnols de Rageous Intent. Soit du grind, du vrai, con comme ses pieds comme il se doit, blastant non stop sur des morceaux ne dépassant quasiment jamais les deux minutes mais avec quand même suffisamment de petits mid-tempi de ci de là pour faire son effet. Du bon arrachage de tête, à défaut d'être une grande découverte.
La fin de soirée se passera en dévotion devant Aluk Todolo. C'est peu dire qu'ils auront livré un très bon set, axé principalement sur des titres inédits à paraître sur le prochain album. Quarante minutes planantes, basées sur des empilements de nappes sonores et larsens. Il faut bien la frappe tribale et musclée du batteur Antoine Hadjioannou pour donner à ces fils de Magma l'énergie vitale nécessaire pour faire décoller le tout. Et on décolle avec eux, pris en transe, étourdis par l'accumulation de collages sonores et de lignes de basse obsédantes. Paroxysme atteint sur une version explosive du titre "March" en conclusion, explosion libératoire d'un concert/expérience aussi passionnant que difficile à décrire. Et encore, on se dit que dans une vraie salle avec un meilleure son et des lumières appropriées, l'effet doit être encore plus détonnant. En tout cas, au vu de ce qu'on a entendu et vécu, on salive d'avance pour ce nouvel album dont les extraits dévoilés dévoilent du très bon.




Des expérimentations noise...
...et des rythmes tribaux, la magie Aluk Todolo.


Crevé tant par la route que par le live, je zapperai volontairement Shit and Shine et Tzii, mais le peu que j'en entendrai depuis le camping ne me donnera pas vraiment envie de me relever. 

Samedi, deuxième jour. Suite à divers impondérables (groupes annulés, en retard etc.), le running order en prendra un coup. Certains groupes changeront de place sur l'affiche, d'autres s'ajouteront sans avoir été annoncés, bref c'est un peu le bordel, à tel point que par moments on ne sait plus exactement ce qui passe sur scène.
La journée débute avec un dreadlockeux inconnu venu nous présenter un blues plutôt ténébreux. Seul à la gratte, accords simples et voix grave, a priori rien pour sortir du lot. Sauf que le monsieur à la bonne idée de plomber sa ziq d'effets de manche dissonants, de samples bruitistes, et de saupoudrer le tout d'un chant très déclamatoire vaguement halluciné. Bon mélange et une sauce qui prend bien. Le petit parterre couché dans l'herbe devant lui fait une ovation méritée. Je regrette de ne pas avoir retenu son patronyme.

 Si un internaute charitable peut me dire qui est ce type...

C'est ensuite le derviche noise de Chausse Trappe qui prend le relai sous le chapiteau. "Derviche noise"? Oui oui, c'est ça. Vous prenez du rock noise vénèr' comme c'est bien à la mode en ce moment et vous y ajoutez du violon. C'est trad' et électrique, ça charcle et ça fait planer, c'est transe et furieusement rock en même temps, bref c'est bon. Plus en tout cas que Noir Boy George, qui vient ensuite. J'ai peine à décrire ce qui sonne comme de la dance vaguement J-Pop par moment assortie de textes très décadents que ne renieraient pas Costes ou Diapsiquir. Bref c'est sale et dérangeant derrière une façade faussement innocente, le concept est excellent mais au final j'ai quand même eu du mal à totalement adhérer. A retester pour voir. Love Sex Machine sera plus conventionnel avec du gros stoner qui tâche. Massif, tout d'un bloc, limite barbare, voix screamo monocorde et amplis Orange poussés à bloc, faut pas s'étonner si ça déclenche quelques pits bien sentis. Basique mais très bon. Dommage juste que la puissance dégagée ait fait sauter trois fois les plombs pendant le set, obligeant à de frustrantes interruptions au grand dam d'un groupe qui n'en peut mais. En tout cas ils ont remporté tous les suffrages, et c'était mérité vu la prestation. Un peu trop répétitif pour me passionner sur disque mais je les reverrai sur scène avec plaisir. Zed par contre j'éviterai. Je n'ai rien contre le free jazz, à condition que ce soit bien fait. Hors avec un batteur à la ramasse et un saxo et une guitare en roue libre, ça sent le grand rien. Limite l'imposture même, tant leur musique ne dégage rien d'autre qu'un profond sentiment de vacuité. N'est pas John Zorn qui veut.

Je zapperai plusieurs groupes suivants pour raison d'aide logistique aux Malhkebre, ne voyant que le set des anglais Trans/human depuis les coulisses. Et c'est peu dire que c'est très bon! Après un départ un peu chaotique le duo de Sheffield, qui passe pour la première fois en France, déploie avantageusement sa noise répétitive et mystique. Les vagues de larsens et les roulements de percus donnent une note presque tribale à un set pourtant très électrique. De ce magma sonore fécond ressort une ambiance transe très prenante, presque hypnotique. Excellente découverte que voilà, pour un groupe qui mérite qu'on les suive, surtout que les deux gars sont particulièrement modestes et accessibles à la discussion. Chapeau à eux, et au plaisir de les revoir!
Malhkebre donnera en revanche un set assez particulier. De prime abord on peut se demander ce qu'un groupe de black metal aussi virulent musicalement qu'idéologiquement vient faire dans un fest pareil. Mais c'est la magie du Tapette Fest de programmer et faire cohabiter l'improbable, et ce finalement avec une certaine cohérence. Les toulousains en tout cas livreront un set brutal comme ils en ont l'habitude, blastant furieusement leur black chaotique (qui me fait toujours repenser à Antaeus pour ses parties les plus intenses) assortis des passages doomisants et des discours martiaux de rigueur. Très bon dans l'ensemble, mais avec un étrange sentiment de décalage dû au lieu et au public. Voir des teufeurs en pleine montée de MDMA pogoter sourire aux lèvres devant un groupe aussi extrême à tous les niveaux laisse songeur. Le message est-il passé? J'en doute, mais bon concert quand même.

 Malhkebre vu côté coulisses...

Du Syndicat MMX je n'aurais pas le temps de voir grand chose, juste de capter au vol un peu de leur indus martiale et menaçante, lourde comme du plomb et assez oppressante. Ça avait l'air très bien, mais j'étais pris ailleurs. Dommage. La soirée se terminera pour moi de façon improbable devant L.E.G., soit du heavy rap bruxellois de très bonne facture, prenant le meilleur du flow east coast assorti d'expérimentations sonores poussant vers l'electro ou le drone. C'est catchy as fuck, prenant, et en même temps vaguement malsain. Encore une bonne surprise, et pourtant c'est peu dire qu'à la base le hip-hop n'est pas ma tasse de thé.



Trop cramé pour poursuivre, je ferai l'impasse sur le hardcord furieux de Strong As Ten et la disco pop déjantée de Duflan Duflan. Dommage mais j'ai eu déjà ma dose de découvertes, comme tout le monde d'ailleurs. Bilan plus que positif d'un petit Fest qui risque fort de me voir revenir pour les prochaines éditions. Et que je recommande chaudement. Parce que voir des gens mouiller la chemise pour organiser deux jours de grand n'importe quoi musical de haute qualité, en totale indépendance et avec modestie, moi je dis bravo. L'orga est très bonne pour du DIY, et on reste admiratifs de voir s'enchainer avec finalement une certaine cohérence des références musicales aussi éloignées les unes des autres qu'improbables en elles mêmes. Gloire au Pathos!