mardi 10 avril 2012

RIP Jacques Carelman (1929 - 2012)

Au rayon des illustres inconnus dont on aurait mieux fait de nous parler récemment plutôt que nous abrutir avec  la campagne merdisentielle, le football et autres sujets d'un haut interêt journalistique et intellectuel (hum), Jacques Carelman nous a quitté sans faire trop de bruit. Jacques Carelman vous me dites?


Carelman est né en 1929 et a épousé très tôt une carrière à géométrie variable: il sera tout à tour dentiste, peintre, dessinateur, concepteur de décors de théâtre, sculpteur... Acteur important mais méconnu du milieu artistique, il cotoie le Collège de Pataphysique et en (re)fondera une des branches, l'Oupeinpo. On lui doit beaucoup de choses sans savoir qu'elles viennent de lui, comme la célèbre affiche de Mai 68, celle du CRS=SS. Mais son oeuvre majeure ce sont ses livres. Après un "Petit supplément à l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert", il accouchera d'un "Catalogue des timbres-poste introuvables" et surtout du "Catalogue des objets introuvables" qui feront sa renommée. Calqués sur les anciens catalogues de la manufacture d'armes et de cycles de St Etienne, les catalogues de Carelman ne sont rien d'autre que des chefs-d'oeuvre d'humour absurde, où l'auteur détourne des objets usuels, les modifie, dans un grand n'importe quoi où l'irrationnel se mélange à la logique la plus extrème... et à la poésie.

Ceci est un vélo. A escaliers.
Dans ses catalogues -à la présentation rigoureuse et empreinte d'un grand serieux de façade- la frontière entre réalité et absurde s'efface. Il utilise l'humour le plus décalé pour tordre les conventions et porter un regard nouveau sur notre quotidien. Il met la logique à l'épreuve du rire. Le dicton Shadok dit: "S'il ny a pas de solution, alors il n'y a pas de problème". Carelman en revanche invente des solutions à des problèmes qui ne se posent pas, mais pourtant paraissent évident à la vue de ses "objets introuvables". Un lavabo vertical pour prendre moins de place dans les petites salles de bain? Un fusil à canon sinusoïdal pour chasser le kangourou? Une échelle pour cul-de-jatte sans barreaux horizontaux? Dans les Catalogues l'impossible devient réel, l'idiot devient lumineux. Et on se prend à souhaiter que ces objets existent pour de vrai.
 
Pourquoi parler ici de Carelman? Parcequ'il fût un poète d'un genre de plus en plus rare. Un poète subtile qui détournait les codes avec intelligence pour nous inciter à remettre en question les normes habituelles. Ce génie modeste était un peu à la sculpture et au dessin ce qu'un Bobby Lapointe était aux mots. Un artiste décalé, absurde, parfois grivois voir provoquant, mais qui démontait et recréait les acquis avec une intelligence rare. Feuilleter ses Catalogues et se laisser prendre au jeu, c'est un peu une façon indirecte de pratiquer la pensée latérale. Et ça, dans des temps comme les nôtres où l'on uniformise tout, où on fait tout rentrer dans le même moule au nom de l'égalitarisme, ça fait du bien.

Jacques Carelman, le pataphysicien, le détourneur de sens, nous a quitté un 30 mars. Inertie médiatique oblige, sa mort a été annoncée le premier avril. Ca aurait pu être une de ses meilleures blagues. Il aurait même pu en faire un calendrier à sa façon. 
Salut l'artiste, et merci.

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